Macky Sall : « l’Afrique d’aujourd’hui a besoin plus de règles justes et de partenariats équitables… »
Macky Sall, l'ex-président du Sénégal, a prononcé un discours au Global Solutions Summit à Berlin

Macky Sall a prononcé un discours au Global Solutions Summit à Berlin, en Allemagne, ce mardi 6 mai. L’ex-président du Sénégal a parlé de l’Afrique dans le multilatéralisme contemporain.
« L’Afrique d’aujourd’hui a besoin plus de règles justes et de partenariats équitables que d’une aide publique au développement aux ressources limitées et aux mécanismes peu efficaces », a notamment déclaré le prédécesseur de Bassirou Diomaye Faye dont nous reprenons ci-dessous l’intégralité du discours.
Le discours de Macky Sall
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Je voudrais d’abord remercier notre ami Christian Kastrop pour son aimable invitation et pour l’accueil convivial qui m’a été réservé.
Je félicite Global Solutions pour l’organisation de ce Sommet. Dans un monde en proie aux tensions et aux incertitudes, il est à la fois opportun et salutaire de créer des espaces de dialogue pour penser ensemble les chemins possibles de sortie de crise.
Face aux urgences, le cours de l’histoire est à nouveau trouble. Le système multilatéral, né dans les décombres de la guerre pour promouvoir la paix, le progrès partagé et la solidarité entre les nations, montre aujourd’hui ses limites. Il peine à offrir des réponses concertées aux défis contemporains.
En effet, les instances multilatérales semblent figées alors que les conflits, anciens et nouveaux, persistent, les uns plus désastreux que les autres ; les menaces terroristes restent entières ; le réchauffement climatique s’accentue malgré les COP qui se succèdent ; et une guerre commerciale majeure vient s’ajouter à une crise économique et financière dont le monde peinait déjà à se relever.
Dans ce contexte de crises et de mutations profondes, l’Afrique continue de faire face à plusieurs challenges. Je me limiterai ici à quatre défis majeurs.
Premier défi : la paix, la sécurité et la stabilité.
En plus des situations conflictuelles persistantes, le terrorisme tend à devenir endémique sur le continent, en particulier au Sahel.
Il faut dire que depuis des années, l’Afrique n’a de cesse d’alerter sur le fait que les opérations de maintien de la paix classiques ne sont pas adaptées à la lutte antiterroriste, faute de mandats et de moyens adéquats. En témoigne la fin précipitée de certaines opérations dans la colère et l’incompréhension.
C’est pourquoi nous avons toujours plaidé pour des mandats plus robustes et des moyens mieux calibrés, pour combattre le terrorisme dans le cadre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité, avec le soutien logistique et financier des Nations Unies et des pays partenaires.
C’est à ce prix que nous pourrons vaincre le terrorisme, ou tout au moins réduire de façon significative ses moyens d’action.
Il y va de notre intérêt commun, car la persistance du terrorisme en Afrique constitue une menace globale qui relève de la responsabilité du Conseil de sécurité, garant du système de sécurité collective.
Deuxième défi : le développement économique.
Avec ses 30 millions de km², son poids démographique et ses ressources minières, hydriques, énergétiques et foncières (60% des terres arables non exploitées de la planète), l’Afrique dispose du potentiel nécessaire pour soutenir ses efforts de développement et contribuer à la croissance mondiale.
Cela requiert certes des politiques publiques avisées, mais aussi un ordre économique mondial plus juste et plus équitable.
La dynamique du développement est freinée quand l’impôt n’est pas payé là où la richesse est créée, à cause de congés fiscaux abusifs ; et quand les notations des agences d’évaluation sont biaisées par leurs critères et leurs méthodologies de plus en plus contestées. En Afrique, la perception du risque d’investissement est souvent supérieure au risque réel, ce qui renchérit le coût du crédit, à cause de primes d’assurances particulièrement élevées.
Mon point de vue est qu’il est temps de refonder la coopération internationale sur des paradigmes réinventés, notamment :
• la réforme de la fiscalité internationale et des méthodes de notation des agences d’évaluation ;
• et l’assouplissement des règles de l’OCDE afin de faciliter l’accès des pays en développement au crédit export, à des conditions de maturité plus longues et des taux d’intérêt soutenables.
À mon sens, l’Afrique d’aujourd’hui a besoin plus de règles justes et de partenariats équitables que d’une aide publique au développement aux ressources limitées et aux mécanismes peu efficaces.
À titre d’exemple, rien que pour les infrastructures, la Banque africaine de Développement estime les besoins de l’Afrique entre 130 et 170 milliards de dollars par an.
Certes, il faut saluer et reconnaître les efforts de l’aide publique au développement. Mais il est clair que ces ressources, aussi importantes soient-elles, ne suffisent pas à combler les besoins massifs en financement du développement.
C’est pourquoi nous devons explorer de nouvelles voies, notamment en mobilisant davantage l’investissement privé, en renforçant la coopération Sud-Sud, et en développant des partenariats innovants et mutuellement bénéfiques.
Troisième défi : la transition énergétique et le changement climatique.
L’Afrique est le continent qui contribue le moins aux émissions de gaz à effet de serre, mais elle est paradoxalement l’une des régions les plus vulnérables aux effets du changement climatique.
Inondations, sécheresses, désertification, érosion côtière, insécurité alimentaire : les impacts du dérèglement climatique sont déjà visibles et affectent des millions de personnes sur le continent.
Face à cette situation, l’Afrique doit bénéficier d’un soutien accru pour renforcer sa résilience, développer des infrastructures adaptées, et accéder aux technologies propres.
Il est impératif que les engagements financiers pris lors des conférences internationales, notamment les 100 milliards de dollars annuels promis aux pays en développement, soient effectivement mobilisés et orientés vers des projets concrets.
De plus, la transition énergétique en Afrique doit être juste et équitable. Elle ne peut se faire au détriment du droit au développement des pays africains. Il est donc essentiel de garantir l’accès universel à l’énergie, tout en promouvant les énergies renouvelables et en valorisant les ressources naturelles du continent.
Quatrième défi : la gouvernance et l’inclusion.
Le développement durable de l’Afrique passe également par le renforcement de la gouvernance démocratique, la promotion de l’État de droit, et l’inclusion de toutes les composantes de la société.
Il est crucial de lutter contre la corruption, de garantir la transparence dans la gestion des affaires publiques, et de favoriser la participation citoyenne, en particulier celle des jeunes et des femmes.
L’éducation, la formation professionnelle, et l’emploi des jeunes doivent être au cœur des politiques publiques, afin de tirer pleinement parti du dividende démographique et de prévenir les risques de radicalisation et de migration irrégulière.
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Les défis auxquels l’Afrique est confrontée sont nombreux et complexes. Mais ils ne sont pas insurmontables.
Avec une vision claire, une volonté politique affirmée, et des partenariats solides, nous pouvons transformer ces défis en opportunités et bâtir un avenir prospère et durable pour notre continent.
Je vous remercie de votre attention.